ChroniqueDu côté de la vie


Chronique 14: BULLES D'ESPOIR.

Publié le 02-05-2015 16:52:14 | Vu 551 fois | 14 Commentaires

Cet après-midi, je rencontre Junior qui débarque en traînant les pieds, l'air maussade. Quand il se trouve en compagnie de sa maman, il promène sa tête des mauvais jours. Il vient à ma rencontre : -Tu me sembles très contrarié. -Normalement, je ne devais pas venir aujourd'hui mais « ils » ont déplacé le rendez-vous. Sa maman qui nous a rattrapés intervient : -Ne commence pas Junior. Ce n'est pas grave ! Et oui, il a également rejoint les bancs de l'école. Je suis contente pour lui. -Je n'ai pas de devoirs, m'annonce t-il en bougonnant. -Je vais t' en chercher !, lui dis-je en riant, à peine étonnée. Il soupire, ce n'est vraiment pas son jour.  Un peu plus tard, pendant que nous révisons, il me raconte en riant : -Logiquement, je ne suis pas obligé de travailler en ce moment. Pourtant, je n'ai pas l'impression que ça le gêne. Je lui réponds surprise : -Je ne savais pas que c'était ta fête ! -Mais non, ce n'est pas ma fête, dit-il en souriant, mais les élèves de ma classe ont gym. -Et tu appelles cela ne pas travailler alors qu'ils font plein d'efforts en ce moment ! -Ce n'est pas pareil. J'ai faim. Cherchez l'erreur. Je le quitte après 45 minutes de travail. Le médecin l'attend. A peine sortie du service, je tombe sur Liloua qui se jette dans mes bras. Sa maman la suit en souriant. -Comme je suis contente de te voir ma puce ! Comment ça va ? -Bien , me répond-elle joyeusement. Je vais en consultation. Normalement, je pourrai aller à l'école au mois d'octobre. -Tout se passe très bien, me dit sa maman. Encore un peu de patience et bientôt, tout rentrera dans l'ordre. On y va, le médecin ne nous attendra pas. Gros bisous, un petit signe de la main, des sourires de bonheur . Direction les ascenseurs. Au quatrième étage, l'éducatrice se promène avec un bébé dans les bras. Une jolie petite fille aux grands yeux bruns, Deby. Une fillette s'approche timidement de nous. L'éducatrice me la présente : -Voici Jeanette. Elle a huit ans. Puis, elle regarde l'enfant en lui disant : -Tu vois, c'est l'institutrice dont je t'ai parlé, Léa. Elle vient travailler avec toi. Jeanette et sa petite soeur Deby sont en hospitalisation sociale. Elles ont été écartées de leur famille dans l'attente d'une décision juridique. Elles sont placées à l'hôpital, pour leur sécurité. En général, ces enfants restent de nombreuses semaines et l'éducatrice les amène tous les jours à l'école. Ils sont également suivis par les psychologues qui sont en relation avec le juge. Ensuite, ils sont placés dans un home ou une pouponnière selon leur âge. Certains réintègrent leur milieu familial à certaines conditions.  Ces décisions sont prises par un juge toujours dans l'intérêt de l'enfant. Les débuts à l'hôpital sont très durs pour ces enfants mais au fur et à mesure qu'ils apprennent à connaître l'équipe médicale et scolaire, ils acceptent un peu mieux ce laps de temps transitoire loin de leurs parents. Certains ont un droit de visite, d'autres pas en fonction de la gravité de la situation.  En ce qui concerne ces deux enfants, la maman peut les voir tous les après-midis dès 15 heures. Jeanette travaille avec moi aujourd'hui et ira à l'école dès demain. Timide et réservée, probablement secouée par ce qu'elle a vécu, elle ne parle pas. Lorsqu'elle voit sa maman, elle se jette dans ses bras. Je les laisse vivre ce moment dans l'intimité. Je m'éclipse. Maman, c'est le plus beau mot du monde pour un enfant. Maman, c'est le refuge d'amour,le nid,la sécurité absolue, l'espoir...normalement...  Je rejoins Nalia qui arrive à l'hôpital de jour. Drôle de matinée pas trop propice au travail. Nalia attend son tour dans la file du secrétariat. D'un petit signe de la main, elle me montre son sac à dos. Enfin installée dans son lit, elle me dit : -J'ai beaucoup de devoirs aujourd'hui mais le plus important ce sont les maths. Je n'y arrive pas. -Pas de problèmes ! Nous allons profiter de ce petit moment à deux, lui dis-je très optimiste. Un quart d'heure plus tard, une infirmière vient la chercher pour l'emmener dans la salle de soins. -On en a pour un moment, me dit-elle. Ce qui veut dire que je ne reverrai pas Nalia rapidement. D'ailleurs, l'infirmière poursuit : -Mais tu peux aller chez Dino. Il est prêt. Je prends mes affaires et déménage dans la chambre de Dino. Il m'accueille à sa manière : -J'ai oublié mon cartable !, s'exclame-t-il en souriant. Sa maman intervient : -Tu n'as pas voulu prendre ton cartable. -Mais j'ai déjà assez travaillé à l'école ! C'est pour cela que je l'ai laissé à la maison. En plus, je préfère tes devoirs. -Ce n'est pas une bonne idée ! De toute manière, j'ai ce qu'il te faut mais j'aimerais que tu apportes tes travaux la prochaine fois. Il tire la table au-dessus de ses jambes et se met au travail. Dix minutes plus tard, on l'emmène au scanner. Vraiment pas de chance ! Je monte en oncologie. Bilal trempe dans son bain. Décidément, ils se sont passés le mot ! Ce n'est pas mon jour. Une prof du secondaire me rejoint. Elle aussi attend son tour. Ensuite, je redescends. Dino est réapparu et me regarde en souriant. Il glisse ses jambes sous la table et reprend l'écriture de sont mot interrompu. Il n'avait même pas pris le temps de le terminer ! Il déteste écrire et cela se voit. Il essaie d'expédier son exercice le plus vite possible. Je l'arrête dans son élan : -Le « m » est une lettre à trois ponts et non à trois pointes. Il me regarde tout sourire, efface et redessine sa lettre. -Concentre-toi et fais un effort. Tu perdras bêtement des points si ton institutrice ne sait pas lire les réponses. Il me regarde toujours avec son grand sourire. Devant son air béat, je me dis que j'aurais mieux fait d'économiser ma salive. Ma remarque passe comme un nuage au-dessus de sa tête et éclate sans laisser de traces.Soudain, il prend mon menton entre ses mains et me dit : -Tu es mignonne. -C'est toi qui est mignon et encore plus quand tu travailles sérieusement. Il m'entoure de ses bras durant quelques secondes, puis continue ses exercices. En revenant chez Nalia, je constate qu'elle est en pleine réflexion mathématique. Elle reprend confiance et avance, un peu hésitante. L'infirmière revient la chercher. Quelle matinée. Je suis déjà fatiguée, surtout démoralisée. Impression de perdre mon temps, de ne pas être efficace. Je ressors ma liste pliée en accordéon, sur laquelle figure le prénom d'une nouvelle élève : Myriame. Attention, isolement protecteur. Masque, blouse, gants pour la protéger des microbes extérieurs. Je ne la connais pas du tout. Lorsque j'ouvre la porte de la chambre, je découvre une enfant très amaigrie, un peu triste. Elle a dix ans et c'est sa première hospitalisation. Une maladie chronique, la mucoviscidose, a fait brutalement irruption dans sa vie. Sa maman qui nous a rejointes me raconte qu'elle a passé plusieurs jours aux soins intensifs.  Soudain, le reste de la famille débarque dans la chambre à grands bruits. Trois petits sont déjà sur le lit. Le père suit. Je me présente. Il me répond en levant les bras : -Oh, vous savez l'école, pour le moment, on n'y pense pas du tout mais quand elle ira mieux, on verra. La maman essaie de calmer les plus petits. On dirait que c'est « La sortie de la semaine ». Ils confondent plaine de jeux et lit d'hôpital. Myriame semble habituée à tout ce tapage. Je m'en vais. Je repasserai, si c'est possible. S'ils veulent bien me donner une petite place auprès de leur enfant. Quelques jours plus tard, Myriame va mieux. Sa maman est très contente. Elle recommence à manger et n'a plus besoin d'oxygène pendant la journée. Elle arrive à respirer toute seule ! Bientôt, elle pourra même s'en passer la nuit. Je remarque qu'elle a meilleure mine. Le père se précipite vers un sac à dos d'où il sort un paquet de devoirs. Je la rassure : -Ne t'inquiète pas, on ne fera pas tous ces travaux aujourd'hui ! Elle sourit, se concentre, retrouve ses gestes habituels. Son écriture forme de jolies lettres arrondies qui se bousculent. Un bonheur après celle de Dino. La kiné installe son aérosol. Myriam continue son travail dans un bruit de bulles. Je sens qu'elle commence à se fatiguer. Elle termine quand même ses exercices et soupire de contentement. Je la félicite. Son papa me dit plein d'espoir : -Elle a bien travaillé. Alors elle va mieux. Vous ne trouvez pas ? Une petite bulle d'espoir rejoint celles de l'aérosol. -Oui, qu'est-ce que tu en penses toi, Myriame. -Je vais très bien ! Papa soulagé, heureux. -Alors, peut-être qu'elle va guérir ?, me demande-t-il. Une deuxième bulle un peu plus grosse s'envole. -Je pense que vous devriez en parler avec le médecin. Silence mais la bulle d'espoir est toujours présente. Ce n'est pas à moi à répondre à ce genre de question. Je sens bien que le papa voudrait entendre la réponse affirmative qu'il attend. Celle qui le rassurera mais cela n'est pas de mon ressort.  Certains parents nous posent parfois des questions surprenantes auxquelles nous ne pouvons pas répondre. Ils sont en confiance parce qu'ils connaissent mieux le milieu des enseignants que celui des médecins. Ils confondent les rôles et s'imaginent que nous savons tout sur les maladies et que nous sommes au courant de l'évolution de l'état de santé de chaque enfant. Nous sommes loin de la réalité. Par ailleurs, le médecin lui a certainement déjà donné quelques explications. Peut-être qu'il n'a pas compris, pas saisi. Peut-être n'était-il tout simplement pas prêt à entendre. D'autres parents parlent parfois, devant leur enfant, sans réfléchir à la portée de leurs mots. Un jour une maman me dit au sujet de sa fille : -On a toujours des problèmes avec elle mais elle va mieux depuis qu'elle a été opérée. Elle a eu les mêmes ennuis que l'an passé. Elle est malade depuis qu 'elle est petite mais peut-être qu'elle ne veut pas guérir parce qu'elle sait que je ne voulais pas avoir un autre enfant. J'ai même pensé avorter mais finalement, elle est là... Je suis sidérée, choquée. J'ai mal pour cette petite fille qui malgré son jeune âge perçoit certainement le sens de ce monologue. J'essaie de l'arrêter en m'adressant directement à l'enfant sur sa scolarité. Monologue assassin enfin interrompu. Ouf, mais le mal est fait. J'en suis toute retournée. Dans le couloir, je rencontre Lucie, une fillette de sept ans, qui se balade avec sa collation de 15 heures. -Tu n'as pas mangé ? Il est pourtant déjà tard. Elle doit absolument avaler sa collation sous peine de faire un malaise. -Mais je n'aime pas le raisin. -On va demander aux infirmières si tu peux recevoir autre chose. Elle me donne la main, rassurée. L'infirmière échange le fruit contre une petite compote. Elle est satisfaite, court s'installer dans la salle de jeux et se dépêche de manger. L'infirmière me fait signe de surveiller qu'elle mange bien. Le plateau se vide. -On joue une partie de cartes ?, me demande t-elle en me montrant son plateau vide. -Une petite partie et puis, il est temps que je m'en aille. Il faudra venir à l'école demain. Elle se renfrogne. -Tu verras, c'est chouette. La journée passera plus vite ! Elle sourit. Demain est un autre jour. Jeanette est descendue à l'école sans se faire prier. Elle travaillera avec ma collègue que j'ai mise au courant de la situation... enfin, le peu que j'en sais. Sa maman ne s'est pas montrée la veille et l'enfant est triste mais je sais d'avance que tout se passera bien. Ma collègue fera tout ce qui est en son pouvoir pour la réconforter. J'ai un peu mal au coeur pour elle et sa petite soeur. Misère affective contre laquelle je me sens impuissante. Par contre, Lucie ne m'a pas suivie à l'école. L'infirmière lui a dit qu'elle devait y aller. Elle a disparu dans sa chambre. Je n'aime pas forcer les enfants surtout quand on sait qu'ils vivent une situation déjà difficile. Et puis, je ne vais quand même pas la tirer par les pieds ! Je la retrouve à côté de son lit, en larmes ! -Mais qu'est-ce qui se passe ? Elle hoquette en me répondant : -Je ne veux pas aller à l'école. Elle frotte ses yeux inondés de larmes. Je m'approche, la prends dans mes bras pour la réconforter. Je ne supporte pas la vue d'un enfant qui pleure. Elle renifle. Je lui chuchote : -Tu veux que je vienne travailler avec toi, ici ? -Oui !, me dit-elle soulagée. -Alors, à tout à l'heure. Elle sourit, sèche ses larmes. Je préviens les infirmières et l'éducateur. Ils ne sont pas contre. Un peu plus tard, j'arrive avec un livre sur les animaux. Lucie est assise dans la salle de jeux avec un autre enfant, Abed. Elle ouvre le livre et regarde les papillons. -Regarde, il y en a un noir !, dit-elle d'une voix étonnée. -Montre, lui dit Abed. Ils observent le spécimen ensemble.Puis, après réflexion, Lucie demande : -Ils sont méchants les papillons noirs ? Elle me regarde d'un air dubitatif. Je lui réponds que la couleur n'a rien à voir. Alors, Abed, sort la réponse inattendue : -Moi aussi je suis noir. Ce n'est pas pour ça que je suis méchant ! Elle semble rassurée. Les enfants ont parfois des réponses auxquelles on n'aurait jamais pensé. Et celle-ci est à la fois amusante et belle. En oncologie, Bilal est en isolement. Que lui arrive-t-il encore ? -Je veux bien travailler même si j'ai de la température, me dit-il lorsque je pousse la porte de la chambre. -Tu es sûr ? -Oui,ça va. Je ne peux toujours pas rentrer à la maison. La fièvre est revenue. Mais je mange quand même mieux. Il trouve l'énergie de se réconforter lui-même. Il travaille très bien, rapidement et efficacement. Je m'ennuie un peu, me sens inutile. Dans le silence, j'ai peur de m'endormir. Je lutte contre le coup de pompe. J'ai du mal à rester assise, immobile. -Je n'ai rien à faire avec toi. Tout roule ! Il rit fièrement. -C'est normal, je me souviens de tout. -Tu n'as pas besoin de moi alors. -Si, quand même. Au moins, je ne suis pas tout seul. Au moins, ma présence silencieuse lui est malgré tout utile. Cela me fait plaisir. En ce début d'après-midi,l'éducatrice et moi, emmenons plusieurs enfants à l'école. Comme d'habitude, nous nous arrangeons pour qu'ils nous précèdent au cas où l'un d'eux ferait un malaise. Ils connaissent le chemin. Parmi eux, certains sont des habitués qui reviennent régulièrement. Il y a beaucoup de monde dans l'ascenseur et le couloir. Dans la cohue, nous nous mélangeons aux autres personnes. Soudain, je remarque que le plus grand, un ado, n'est plus là. Une bouteille d'eau roule sur le sol, entre les pieds. C'est alors que je le vois derrière moi appuyé à une rampe. Il perd presque connaissance. L'éducatrice qui a conduit les autres enfants en classe, revient à la rescousse, m'aide à le porter. Il est trop lourd pour moi. Un grand baraqué.  Nous l'installons sur une chaise. Le médecin est là, elle arrive à point. Une coïncidence qui nous étonne et nous soulage.  Elle nous demande de rester auprès de lui, de l'empêcher de s'évanouir en l'appelant, en claquant dans nos doigts. Elle revient avec de l'eau sucrée qu'il boit mollement. Comme il reste toujours dans le même état. Nous le transportons à trois dans le cabinet voisin. Des gens nous aident. Il est beaucoup trop lourd, n'a pas de force dans les jambes, se laisse traîner. Les infirmières sont déjà prêtes. Elles se préparent à le perfuser et nous continuons à l'appeler. L'une d'elles prend le relais en tapant dans ses mains. Lorsqu'il est allongé sur la table, nous pouvons partir. Il est en sécurité.  Dans l'après-midi, nous passons le voir. Il dort, il va bien malgré les craintes du médecin. La journée se termine sur une note positive... Quelques jours plus tard, il suit les cours à l'école.

CommentairesLaisser un commentaire


Nom:
Email:

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.