Du côté de la vie
Chronique 9: ENZO, UN RETOUR INATTENDU !
Publié le 24-04-2015 16:21:54 | Vu 625 fois | 14 Commentaires-Qui avons-nous ce matin ?, se demande l'infirmière en regardant le tableau sur le mur. Elle me cite le prénoms de tous les enfants présents à l'hôpital de jour et que je pourrai voir durant la journée. La liste s'allonge et dans ma tête, je planifie déjà plus ou moins l'ordre de mon passage dans les chambres ou dans le couloir. D'abord, les enfants de l'oncologie et puis, ceux des autres salles, les enfants infectés se retrouvent tout au bout de mon programme. La journée s'annonce bien remplie sauf que... je suis en chômage technique. Il y a du retard dans les services et mon horaire est décalé. Dans la salle de jeux de l'oncologie, je soupire : -Encore une bonne journée comme je les aime ! L'éducatrice sourit : -Assieds-toi. Arrête de tourner en rond. Tu ne peux quand même rien y faire. Moi, contrariée : -Je n 'aurai pas le temps de tous les voir. -Et, dans les autres salles ?, tente-t-elle de m'aider. -Non, celui d'en bas fait son aérosol, l'autre est occupé avec la kiné ...Et à l'hôpital de jour, ils ne sont pas encore arrivés. -Il n'y a personne ! -Si, mais pas les enfants du primaire. -Ah oui, c'est vrai, toi c'est le primaire. Bon, et bien prépare tes cours ou range. -C'est déjà fait ! A bout d 'arguments, elle abandonne en riant. Elle trie des puzzles. -Je peux t'aider ? -Si tu veux. Tu iras voir si quelqu'un est prêt dans un quart d'heure. Je déteste perdre mon temps, courir pour rien, attendre alors qu'il y a tant à faire. Heureusement, ça n'arrive pas trop souvent. Après un moment, je lui dis : -Ce n'est pas vrai, il est déjà 10 heures ! Je bondis : -Je reprends mes affaires. Je refais un tour au cas où... A tout à l'heure ! J'ai presque passé la porte quand quelqu'un m'appelle. Des pas se pressent derrière moi et me rattrapent. -Léa ! Léa ! Je me retourne surprise et me retrouve nez à nez avec Enzo. Il éclate de rire devant mon air ahuri ! Je suis sans voix. -Coucou, c'est moi ! -Qu'est ce que tu fais là ? Tu n'es pas parti ? -J'étais parti, me répond-il en appuyant sur le « étais », mais je suis revenu ! On s'embrasse, je n'en reviens pas ! Je ne pensais pas le revoir un jour. Toujours aussi étonnée je lui demande : -Mais... tu restes ou tu repars ? Je suis complètement perdue. Il rit encore plus : -Je reste à cause de ma maladie. Je dois encore me soigner et après on verra. Sa maman nous rejoint heureuse, soulagée. -Je suis contente de vous revoir, lui dis-je . -On vient chercher des ordonnances et puis, on peut rentrer. Enzo voulait d'abord saluer ceux qui sont là aujourd'hui. Elle serre Enzo contre elle. Celui-ci s'échappe vers une infirmière qu'il connaît. Effet assuré. Surprise, embrassades,...Il est fou de joie. Il faut que tout le monde soit au courant de son retour. Petit à petit, un joyeux attroupement se forme autour de lui. Je ne le vois plus. Toutes les infirmières sont aussi étonnées que moi et Enzo est accueilli chaleureusement... Le roi du jour ! Fier de susciter autant de surprise et d'intérêt. Je n'y comprends rien mais ce qui importe c'est que tout se termine bien... pour le moment. Un bonheur fragile en sursis. Il est temps de me rendre chez Nalia qui est très en retard par rapport aux autres jours. Elle a plein de choses à raconter. Il est déjà tard et elle termine son déjeuner. Après avoir avalé un dernier médicament elle me dit : -J'ai été me coucher à minuit hier. Alors j'ai dormi plus longtemps. L'infirmière n'arrivait pas à me réveiller ce matin. Chaque fois qu'elle venait, je lui répondais, et puis je me rendormais immédiatement. Finalement, elle a attendu que j'ouvre les yeux ! Tu te rends compte ? Le temps de prendre mon bain et tout et tout...et voilà ! -Quand on se couche tard... -Non, en fait, ce n'est pas de ma faute. J'ai parlé avec mes copines sur ma tablette! On n'a pas vu l'heure. -Vous en aviez tout un tas de choses à vous dire ! -Ben oui, cela faisait longtemps ! Il fallait qu'on se parle. C'était obligé ! Trop bien ! Elle rit en redressant le dossier de son lit. -On a bien rigolé même si j'étais fatiguée. J'irai dormir plus tôt ce soir. -Tu es sûre ? -On verra ! Elle va bien, elle est contente. Je la retrouve enfin. Mais...cette demoiselle ne peut plus s'arrêter de bailler. Je la chatouille pour la réveiller : -Arrête, tu vas avaler ton lit et te décrocher la mâchoire ! Elle s'étire comme un petit chat en riant et commence son travail. -Tu sais, la semaine prochaine, je vais voir mon institutrice et ma classe sur Skype. -Super, c'est une chouette idée. -Oui ! Quelle forme, quelle énergie ! Merci Skype ! A mon arrivée en dialyse, tout le monde se met à parler en même temps. Les enfants m'appellent, je n'entends pas ce que me dit l'infirmière. Je demande le silence général. L'infirmière me répète : -Liloua a quelque chose à t'annoncer. Je regarde Liloua qui rit dans son lit. Tous les yeux sont tournés vers elle. Elle prend une profonde inspiration et me dit : -Je vais être greffée dans trois semaines ! Quelle belle nouvelle ! Après presque deux ans de dialyse. Je me dirige vers elle. Elle m'embrasse en riant de toutes ses jolies incisives qui ont poussé et ne veut plus me lâcher. Sa maman est émue, les larmes lui montent aux yeux. Elle peut donner un de ses reins à sa fille... lui redonner une nouvelle fois la vie. Un immense cadeau du destin. -Tous les résultats des tests sont bons. Pourvu que tout se passe bien, me dit-elle. La chance lui sourit enfin. Bénie rit. Laetizia, quant à elle, s'est désespérément enfoncée dans les profondeurs de son lit, à l'abri des regards, le moral en-dessous de zéro. Je suis prise entre le bonheur de l'une et la tristesse de l'autre. Pincement au coeur. L'éducatrice lui parle doucement mais Laetizia ne bouge pas. Je remarque alors l'absence de Renaud. Aurait-on changé son horaire ? Je vérifie au tableau qui se trouve dans le bureau des infirmières. -Ne te fatigue pas, me dit l'une d'elle, il devrait arriver d'un moment à l'autre. Je ne sais pas ce qu'il lui est encore arrivé, cela devient une habitude. Il devra rester plus tard que les autres. J'espère qu'il ne va pas nous retenir ici trop longtemps. Elle soupire, hausse les épaules impuissante, résignée. Sacré Renaud ! La joie de Liloua reprend le dessus. Elle parle, parle, parle encore...intarissable petite fille à l'aube d'une nouvelle vie. Les infirmières la taquinent. Je regarde le petit corps de Laetizia toujours enfoui sous le drap, un monticule de désespoir et de colère. L'infirmière s'approche de l'éducatrice : -La psychologue va arriver. Entre temps, Renaud est arrivé en courant, les cheveux en bataille. Son papa l'a déposé devant l'hôpital et est reparti aussitôt. Bénie l'aperçoit et lui crie : -Enfin, ce n'est pas trop tôt ! C'est quoi cette tête ? Il se plante devant moi et me dit : -Je suis en retard mais ce n'est pas de ma faute. J'ai perdu mon sac de sport alors avec mon père, on a cherché partout mais on ne l'a pas retrouvé ! En plus, pas de chance, mon cartable est resté dans la voiture avec mes devoirs. Comme d'habitude ce n'est jamais de la faute de ces pauvres enfants et je soupçonne un petit oubli prémédité... -Alors là, ce n'est vraiment pas de chance !, lui dis-je en prenant un air très désolé. Il rejoint l'infirmière, qui s'impatiente, à toute vitesse. Liloua se tord de rire et comme d'habitude Bénie a son mot à ajouter : -Renaud tu es juste pas possible ! Liloua, le crayon en l'air, me chuchote : -Je pense qu'il l'a fait exprès d'oublier son cartable dans la voiture pour ne pas travailler. Je réponds en riant : -C'est ce qu'il croit ! En attendant, bande de petites commères, au boulot et occupez-vous de vos affaires ! Elles se replongent dans leur travail surtout Bénie qui passe son CEB dans quelques semaines. J'espère qu'elle le réussira. Lorsque Renaud est enfin prêt, je lui donne du travail. Il me regarde les yeux ronds. Ses sourcils ont pris de la hauteur. J'ai envie de rire. -Il y a un problème ? -Et mes devoirs ? -Comment veux-tu les faire si tu ne les as pas ? -Mais... Je les ferai ce soir ! -Et alors ? On peut quand même revoir la matière. Regarde, je t'ai préparé les exercices que je t'ai expliqués lundi. -Bien sûr, intervient l'infirmière, tu ne vas pas rester là à ne rien faire. Liloua en profite pour placer son petit mot : -Quand tu n'as pas tes devoirs, Léa en a pour toi ! Il soupire. Tout le monde rit. Pauvre Renaud. Je lui caresse la tête. J'espère qu'il n'oubliera plus son cartable la prochaine fois. J'observe son écriture et je me dis... qu 'elle est aussi déstructurée que lui. A l'hôpital de jour, le service ne désemplit pas. Dino est seul dans une chambre. Il attend qu'une infirmière vienne le chercher pour les soins. -Ma maman est en haut avec ma soeur, me dit-il. Je ne comprends pas ce qu'il veut dire. -En haut ? Tu n'es pas rentré chez toi ? -Oui, mais ma soeur a été hospitalisée ce matin. Elle a mal au ventre. Justement, la maman arrive essoufflée. -Ce n'est pas facile, lui ici et sa soeur en haut, m'explique -t-elle en gestes et paroles. Je compatis. Dino traduit ce que dit sa maman : -Comme on ne sait pas encore ce qu'elle a, je ne peux pas rester près d'elle. Maman demande si tu restes avec moi maintenant. Elle remonte chez ma soeur et reviendra plus tard, quand on aura fini. Elle voudrait parler au médecin. On s'arrange avec la maman pour qu'elle puisse rejoindre sa fille tranquillement. Après le cours, l'éducatrice prendra le relais auprès de Dino. Celui-ci retraduit.. . Maman rassurée. La pauvre, quel stress. Je me demande s'il y a un papa, quelqu'un pour l'aider. Evidemment, je ne pose pas de questions. Dino, quant à lui, calcule déjà consciencieusement. Soudain, dans le silence, il me semble entendre un bruit que je ne définis pas, mais je n'y prête pas attention. Un peu plus tard, une petite voix se fait entendre. Je me retourne et j'aperçois dans mon dos, deux lits plus loin, une poussette. Non, je ne le crois pas ! Je me lève et me dis à haute voix : -Il y a un bébé dans la poussette ! Dino me regarde et hausse les épaules. Le bébé se met à pleurer. Je m'approche et découvre un petit garçon d'environ un an. Je n'en reviens pas. Quelqu'un a laissé son enfant dans la chambre et ni Dino, ni moi, ne le savions. Incroyable ! J'emmène la poussette près de moi en parlant au petit. Je l'installe face à nous pour qu'il nous voie. Heureusement, il nous observe en riant. De temps à autre Dino lui fait des grimaces en travaillant afin qu'il ne pleure pas. Il s'y connaît Dino en bébés. Il a deux soeurs et un frère qui sont plus jeunes que lui. Le petit joue avec mes doigts, je lui chatouille les pieds et il éclate de rire. Plus tard, lorsque la maman revient, elle est à la fois étonnée et soulagée de retrouver son bébé, jouant et riant. Elle était en salle de soins avec le grand frère. Décidément, c'est la journée des frères et des soeurs... et des mamans qui courent dans tous les sens ! Cours terminé, il est l'heure pour moi de me rendre dans le service d'oncologie. D'autres personnes entrent dans la chambre et s'installent sur les lits voisins. Des petits courent, un bébé pleure. L'éducatrice vient s'occuper de Dino. Je peux m'en aller. Dans la journée, je croise la maman de Dino. Je comprends que la soeur va bien. Rien de grave. Tant mieux. Nalia, isolée depuis trois semaines commence à s'impatienter. Chaque jour, elle dessine une croix sur une case du calendrier. Elle travaille avec un peu moins d'enthousiasme et je la sens très nerveuse. -Je voudrais déjà être là ! me dit-elle en pointant une date sur son calendrier ! C'est long ! Elle voudrait aller plus vite que le temps mais même en pédalant de toutes ses forces elle ne pourrait pas le rattraper. Personne n'a de prise sur le temps et l'impatience épuise. Même impatience pour Junior qui arrive à l'hôpital de jour en bougonnant. Quelle journée ! Bizarrement, il semblait plus jovial il y a quelques semaines. Je le vois trop souvent le visage fermé, les sourcils froncés. Plus de sourires, plus rien à raconter ! Il s'ennuie chez lui. A part l'institutrice qui donne des cours à domicile une à deux fois par semaine, il ne voit personne. La famille vit recluse au rythme de Junior. Je demande à l'éducatrice si elle peut passer un moment avec lui. Elle arrivera sûrement à le distraire en jouant avec lui. Lundi matin, nous abordons une nouvelle semaine. Dino est de retour en chambre stérile depuis samedi. -J'ai la grippe ! me dit-il en riant. Comme il n'a pas l'air trop mal, je dirais même qu'il semble en pleine forme, je lui dis sur le même ton rieur : -Décidément, à peine sorti déjà revenu ! La grippe a encore frappé ! Il rit de tout son visage. Ce matin, grâce aux traitements, il va mieux. La fièvre est tombée et bonheur... sa maman a rapporté ses cours. -Quelle bonne idée, tu es revenu avec tes devoirs ! Dino et sa maman se regardent fièrement. A présent, Dino collabore et s'implique beaucoup plus dans sa scolarité. C'est un bon élève et il aurait été dommage d'abandonner son programme. Il descend de son lit, s'installe à la table en caleçon et singlet comme d'habitude. Avant de se mettre au travail, il me montre une photo de sa famille. Des jeunes parents et quatre enfants souriants, serrés les uns contre les autres. Il m'explique que son papa est décédé l'an passé et me nomme ses soeurs et son frère. Une famille touchée par la mort et la maladie en quelques mois. Pourtant, le papa les accompagne au fil du temps. Pour Dino et sa mère, il est toujours auprès d'eux, avec eux, bien présent dans leur vie. Il ne les a jamais quittés. La tendresse, l'amour sont toujours dans leur regard. Je l'écoute, sa maman sourit. Ils sont complices et sereins. Je ne pose pas de question, il me livre ce qu'il veut bien me donner et l'émotion me gagne. J'admire leur force tranquille. Parler, c'est partager et c'est ce que fait Dino mais, parfois, écouter c'est apprendre. En ce moment, je suis l'élève. Une leçon d'humilité, un trésor d'humanité. Dino et sa maman sont toujours souriants, d'humeur égale. Ils acceptent la vie comme elle se présente, sans se plaindre de leurs difficultés et en se réjouissant des beaux moments qui se présentent. Ils font partie de ces personnes qui arrivent dans nos vies pour les éclairer et les embellir. D'autres la traversent sur la pointe des pieds et ce n'est que bien plus tard que nous comprenons ce qu'elles nous ont apporté. Dans de nombreux pays développés, la maladie et la mort sont encore trop souvent des sujets tabous parce qu'ils effraient et créent un malaise. On évite ce genre de conversation parce qu'elle nous renvoie à nos propres peurs, à notre propre mort. Certains parents, en voulant protéger leurs enfants en bas âge, les empêchent d'assister aux funérailles d'un de leur proche. Mais la mort fait partie de la vie. Pourquoi la cacher ? C'est ainsi qu'on transmet et qu'on cristallise un peu plus les angoisses. Même si ces moments sont difficiles, ils jalonneront inévitablement notre vie. Autant apprendre à naviguer dans les tourments, à gérer des émotions que nous ne pourrons pas éternellement éviter et qui malgré tout nous construisent. Personnellement, je crains plus la souffrance en fin de vie et l'intolérable absence de l'autre, que la mort. Le temps est superbe, lumineux. Après de longues hésitations du style « j'apparais, je me cache , je réapparais », le soleil s'est finalement installé sur notre pays, balayant le froid et les nuages et commence à nous réchauffer de ses doux rayons. Pendant la récréation, les enfants qui d'ordinaire jouent à l'intérieur peuvent enfin profiter du jardin de l'école. Masque pour certains, crème solaire pour tous. Les petits de maternelle roulent en tricycle, d'autres s'amusent en promenant une poupée dans un landau. En tout cas, ils sont heureux de respirer la nature. Nous aussi, d'ailleurs. Depuis quelques jours, nous mangeons sur les tables en bois face au soleil, en espérant prendre des couleurs. Tout le jardin s'est coloré de fleurs. D'en bas, je vois les chambres du sixième étage. Les briques rose et jaunes jouent avec le soleil mais les enfants, eux, ne profiteront pas cette année de l'été qui s'annonce. Ce matin Léo me fait part d'une bonne nouvelle : -Bientôt, je pourrai retourner à l'école... et récupérer mon chien, enfin ! Je suis content. J'ai hâte maintenant de revoir mes amis, même si on arrive à la fin de l'année. -Cela te permettra de reprendre le rythme petit à petit avant la prochaine rentrée. -Oui, il faut que je reprenne l'habitude. La seule chose qui me fait peur, c'est que je suis encore souvent fatigué. -Ton instituteur est au courant de la situation. Compte tenu des circonstances, il adaptera ton travail. Il a été très sensible à tout ce que tu as vécu ces derniers mois. -Oui, c'est ce qu 'il a dit à ma maman. Mais quand même, j'aimerais bien redevenir comme avant. -Encore un peu de patience, tu vois bien que tu avances. Même ton chien pourra bientôt revenir ! -Oui et c'est vraiment chouette parce que depuis qu'il est chez mon tonton, il fait beaucoup de bêtises ! Je crois que tonton en a un peu marre mais qu'il n'ose pas le dire. -Il est temps que vous repreniez votre vie d'avant ! -Il est temps que maman retourne travailler aussi. Elle ne parle plus que de son boulot : à la maison, au téléphone, ici...tout le temps. Il soupire : -J'ai un peu peur qu'elle m'oublie. -Mais non, sûrement pas. Tu es toujours la priorité de tes parents mais ta maman doit aussi préparer son retour au travail. Elle se tracasse sans doute un peu et c'est normal. Mais cela n'a rien à voir avec toi. Vous allez tous vous remettre en route. C'est une bonne nouvelle ! -Depuis le temps qu'on attendait ça ! -Bon alors ? Profites-en ! -Pendant les vacances, je pourrai sortir et mon papa a dit qu'on partira peut être quelque part tous ensemble. Tiens, j'ai apporté mes travaux de l'école mais je ne sais pas tous les faire. -Ne t'inquiète pas, je suis là pour ça ! J'ai passé de bons moments avec Léo. Il a partagé ses instants de joie, de doutes, d'espoir...toujours dans la confiance. Bientôt, l'hôpital ne sera plus pour lui qu'un lointain souvenir. A l'étage, Nina » joue » avec la psychologue. Sa maman semble au bord de l'épuisement. Comme nous nous croisons devant la salle de jeux, elle m'explique : -On essaie de trouver une école pour Nina mais ce n'est pas facile. Il y en a peu qui sont adaptées à ses handicaps et certaines se situent loin de chez nous. Je voudrais tellement qu'elle apprenne à lire pour qu'elle puisse se débrouiller seule plus tard. A son âge, elle n'y arrive toujours pas . De toute façon, pour l'instant, sa vie se partage entre la maison et l'hôpital. Et cela n'arrange rien. Enzo, qui est hospitalisé, arrive.Je m'éclipse dans sa chambre. Il déborde d'énergie depuis sa réapparition. Il se tient le ventre en me disant : -Tu sais que je mange trop ? Regarde mon gros ventre. Il soulève son t-shirt. Enzo est grand et fin et je ne vois pas du tout ce qu'il me montre. Ses doigts tapotent un ventre bien plat. Je m'écrie en riant sur un ton effaré : -Oh, il va exploser ! -Tu rigoles mais j'étais plus mince avant. -Transparent alors. Il me regarde en riant : -Avant, je jouais au foot. J'avais des abdos. Maintenant c'est mou. Quand je pourrai sortir, je recommencerai le sport. -Bonne idée. Sur cette résolution, il est temps de reprendre le travail. Moral au beau fixe, apaisé, il ne se fait pas prier. L'infirmière arrive en poussant un chariot. Je comprends qu'il est temps que je sorte : heure des soins. On continuera plus tard. Quand j'arrive dans la chambre de Nina, celle-ci boude. Sa maman m'explique qu'elle n'est pas contente parce que je ne suis pas restée près d'elle. -Mais, tu étais avec la psychologue, lui dis-je. -Je le lui ai dit mais vous la connaissez, elle est têtue, me répond la maman. -Tu veux jouer avec des perles ? Je lui montre de grosse perles colorées. Son visage s 'éclaire, elle sourit enfin. -Deux perles jaunes, une bleue, deux jaunes, une bleue... Elle a compris la consigne, me prend la ficelle des mains et continue toute seule. L'activité lui plaît mais lui demande, comme d'habitude, beaucoup d'efforts pour ajuster ses gestes. Surtout, ne pas l'aider, sinon, elle risquerait de s'offusquer. Elle a sa fierté ! Sa maman s'approche et essaie de lui mettre ses lunettes. Nina secoue la tête. La mère insiste mais Nina ne veut rien savoir. -Tu verras mieux Nina pour faire tes exercices. Nina refuse obstinément sans quitter des yeux le travail qu'elle accomplit. Sa maman n'a pas d'autre choix que celui d'abandonner. Arrivée au bout du fil, elle l'agite triomphalement ! Victoire ! AGITATION. Ce matin, en me levant, la journée me paraît insurmontable. Un mal de tête que je traîne depuis cette nuit s'est tapi au fond de mon crâne. Sonné par un antidouleur, il guette le moment où il pourra revenir à la charge. Besoin d'une louche de courage pour démarrer. Léo vient d'entrer dans la salle de l'hôpital de jour. Je remarque de belles couleurs sur son visage détendu. Il prépare énergiquement ses affaires. -Quelle forme aujourd'hui ! -Oui, je me sens moins fatigué... Je ne resterai pas longtemps ce matin alors je suis de nouveau dans le couloir. On peut commencer avant qu'on vienne me chercher pour les soins ? L'infirmière qui passe en se pressant à ce moment-là, sourit et me dit que je peux m'occuper de Léo. Elle doit d'abord voir un autre enfant. Nous nous installons donc à la petite table sur le banc bancal. En travaillant, il me regarde d'un air grave. Je me prépare, je sens la confidence arriver : -Tu sais pour Martin ? Je pense : « Non, pas Martin ! » mais je réponds : -Oui, je suis au courant. -Ce n'est pas juste que même des petits meurent. Ma maman est allée aux funérailles mais papa n'a pas voulu. Après, elle a beaucoup pleuré et elle ne veut plus venir à l'hôpital. Je soupire, impuissante : -Malheureusement, on ne peut rien faire. Et pour ta maman, ne t'inquiète pas. Elle reviendra dans quelque temps. -C'est triste pour ses parents et lui. Ils n'ont plus d'enfant. C'est déjà le deuxième qui meurt depuis que je suis là. Je me dis qu'il ne sait pas tout, heureusement. J'ai une pensée pour Jamilla, Raphaël et David qu'il n'a pas connus. Ensuite, il enchaîne : -Moi, maintenant, je vais mieux et j'ai envie de faire plein de choses. Parfois, je crois que je ne suis plus malade. -Alors, tu as envie de profiter ! -Oui, d'ailleurs, hier, avec ma soeur on a fait les fous ! On a joué, crié, couru partout. Papa n'en pouvait plus ! Il rit en repensant à son papa. -Pauvre papa ! -Mais non, il a l'habitude. Avant, j'étais tout le temps fatigué et j'avais toujours envie de dormir alors que maintenant, c'est tout le contraire ! La force de la vie reprend, l'impatience de vivre à fond également ! Devant la porte, son papa parle avec d'autres parents. Ils se donnent des nouvelles, racontent leurs soucis. Pendant l'hospitalisation de leur enfant, des parents se croisent, font connaissance, créent des liens. Ils se comprennent, s'encouragent, partagent leurs émotions, les bons et les mauvais moments et c'est toujours avec plaisir, malgré tout, qu'ils se revoient à l'hôpital de jour. Ils parlent dans le couloir tandis que les plus petits courent, jouent, rient et crient en attendant leur chimio. Il fait chaud et bruyant. Ma collègue de maternelle essaie de s'installer tant bien que mal entre deux lits pour s'occuper de deux enfants déjà prêts, passant de l'un à l'autre. Elle ne sait plus où poser ses feuilles de couleur et son matériel. Elle me voit sur le banc avec Léo. Elle me fait un petit signe. Nous nous comprenons. Pas facile de trouver de la place, de se concentrer. Les infirmières courent d'une chambre à l'autre tandis que l'éducatrice lit une histoire à un petit garçon qu'elle a pris sur ses genoux. Une infirmière arrive dans la chambre, où se trouve ma collègue,avec son chariot. Commence alors un ballet de tables, de perfusions, de chaises. Ma collègue se dégage, plie une table qu'elle pousse pour laisser passer l'infirmière. Elle s'occupe de l'autre enfant mais doit bientôt changer de place parce que la perfusion est trop éloignée de l'enfant dont s'occupe l'infirmière. Elle se met de l'autre côté du lit, en déménageant son matériel. Elles finissent par rire de la situation. Heureusement, chacun coopère comme il peut. Dans toute cette agitation, mon mal de tête en profite pour se rappeler à mon souvenir. Il joue du tam-tam dans mon cerveau. Léo s'applique le mieux qu'il peut. Je vois qu'il se sent bien. Un petit s'approche de moi. Il voudrait jouer avec les dinosaures sur la table. Je lui fais une petite place. Finalement, il termine sur mes genoux, ses animaux ayant trouvé un abri dans ma trousse. Léo aime bien les petits. Cela ne le dérange pas qu'il soit là. Il me dit : -De toute façon, on est quand même dans le bruit. Cela ne changera rien. Je sais quand même travailler. Plus tard, une infirmière vient le chercher. -Je vais à la salle de soins. Et puis, je me repose. J'aperçois ma collègue le visage rouge. Elle termine son activité, range ses affaires et me rejoint. -Quelle journée ! J'ai mal au crâne, me dit-elle. -Comme ça, nous sommes deux. Nous nous échappons de la salle vers l'étage où nous espérons trouver un peu de calme. Pauvres infirmières et infirmiers. Comment font-ils pour tenir toute une journée ? Et l'éducatrice qui n'a aucun endroit précis où recevoir les enfants ? Nous montons au sixième, une éternité pour y parvenir. Trois des quatre ascenseurs sont en panne. Le seul qui fonctionne est rempli. Nous nous expulsons de ce dernier, coincées entre plusieurs personnes et nous nous séparons en nous souhaitant, en riant, une bonne continuation. BRUIT DE BOULOIRE. Nalia est en compagnie de son papa. C'est la première fois que nous nous rencontrons. Il a l'air content de mon arrivée et me remercie déjà de venir auprès de sa fille. Nalia va très bien. Elle sortira dans une dizaine de jours et cette perspective la rend très heureuse. -Bonjour Léa, je peux choisir mes travaux ? -Il ne reste pas grand chose. Je dois préparer la suite de ton travail. Elle sélectionne quelques feuilles d'exercices et travaille en souriant. Silence et calme ont envahi la chambre. Moment de grâce après le passage chez Léo dans le couloir. Doucement, un léger ronflement s'élève du fauteuil.Petit à petit , il se transforme en bruit de bouloire. Je me tourne vers le papa que j'avais oublié. Nalia me dit en riant : -Il en fait du bruit mon papa quand il dort. Avec lui, c'est toujours comme ça. Le soir, à la maison, il ronfle dans son fauteuil et on n'entend même plus la télé alors, maman se fâche mais comme il ne l'entend pas, elle est obligée de le secouer. Parfois, elle doit même le pincer. D'ailleurs, tu vas voir. Elle aurait dû dire « tu vas entendre »... Petit à petit, les ronflements se font plus intenses, plus insistants, de plus en plus bruyants. Je me demande jusqu'où cela va aller. J'ai l'impression que nous allons décoller avec le lit et toute la chambre ! Tout à coup, il se réveille dans un sursaut, agitant les bras et les jambes et en toussant comme s'il se noyait. Je me dis qu'il devait être proche de l'étouffement. -Tu vois, je te l'avais dit . J'entends surtout ! Il me jette un oeil pour savoir si je l'ai vu. Je fais semblant d'être très absorbée par mon travail. Je ne le regarde pas. Puis, rassuré, il se rendort. Nalia et moi rions et mon rire se transforme peu à peu en un fou rire nerveux que j'essaie de dissimuler sous mon masque, en vain. J'en pleure. Mais le calme revient... Pas pour longtemps. De ronronnements en ronflements furieux, de sursauts en réveils intempestifs, l'heure passe et Nalia arrive malgré tout à se concentrer mieux que moi, malgré nos rires. -Leçon un peu spéciale terminée ! Nalia rit. Je m'apprête à quitter la chambre, lorsque son papa se lève subitement d'un bond, tel un ressort, revenu de sa sieste agitée. L'air de rien, il s'approche de sa fille, contourne le lit d'un côté, puis de l'autre, regarde son travail et attend que je sois partie pour se réinstaller dans le fauteuil. Drôle d'épisode mais grâce à ce fou rire, le mal de tête m'a définitivement quittée. GRAND-MERE NININE En entrant dans la salle de jeux, je vois Junior assis sur une petite chaise parmi les parents et d'autres enfants. Je lui fais part de mon étonnement : -Je pensais que tu viendrais à l'hôpital de jour aujourd'hui. Il réajuste son masque avant de me répondre : -Ils m'ont dit de monter en onco. J'ai de la fièvre et on doit m'hospitaliser. Alors, j'attends une chambre. Maman est en bas pour préparer les papiers. -Je viendrai plus tard. Il y trop de monde pour travailler ici. -D'accord. Il me retient par le bras. -Tout ça, c'est à cause de ma grand-mère Ninine. Je le regarde d'un air interrogatif. Il poursuit : -Elle est venue fêter son anniversaire à la maison. Je crois que c'est elle qui m'a donné la fièvre. En plus, elle s'appelle Nicole mais comme elle n'aime pas son prénom alors elle invente qu'elle s'appelle Ninine. Il secoue la tête en soupirant. Un adolescent intervient : -Tiens, moi aussi je connais une Nicole qui n'aime pas son prénom. -Peut-être que toutes les Nicole n'aiment pas s'appeler Nicole ! -Non, je ne crois pas, répond l'ado. Puis, Junior continue : -Je déteste cette grand-mère. Elle s'énerve et raconte n'importe quoi pour avoir toujours raison et elle n'est pas gentille avec mes parents.Quand elle est de bonne humeur, tout va bien. Mais quand elle va mal, alors là...Surtout qu'elle est le plus souvent de mauvaise humeur. L'ado ajoute : -Quand Ninine se fâche, tout le monde trépasse ! Les parents et les enfants présents dans la salle rient. Ils suivent la conversation avec intérêt et Junior en rajoute : -D'ailleurs quand elle se fâchait, quand j'étais petit, elle me pinçait les fesses ! Elle courait derrière moi dans les escaliers parce que je ne voulais pas déjeuner et crac dans les fesses. Maintenant, elle ne sait plus courir alors quand elle s'énerve sur moi, je lui fais la danse du derrière ! Il mime la danse en se trémoussant. Les rires fusent. -L'autre fois, elle s'est encore énervée. Elle s'est tordu le pied en voulant marcher vite. Elle s'est tellement fait peur elle-même, qu'elle a failli tomber dans les pommes. Trop comique ce gamin. Il a le talent des humoristes. Tout le monde rit fasciné par cette grand-mère "pinceuse" de fesses qui lui a donné de la fièvre et surtout, par sa manière de raconter son histoire. Il termine en disant : -Quand elle est venue samedi, j'ai bien vu qu'elle faisait semblant de tousser pour se faire remarquer mais elle m'a quand même donné des microbes.J'avais dit à mes parents « Surtout qu'elle ne vienne pas ! » et voilà le résultat. Une vraie sorcière. En plus, elle donne des bisous de vieille, des bisous mouillés, baveux. Je ne me laisse plus jamais attraper. Sa maman qui arrive a entendu la fin de ses péripéties. Elle lui demande en riant : -Qu'est-ce que tu racontes encore Junior. Tu exagères. Pour toute réponse, il agite son index en signe de négation. -Tu ne te rends pas compte, c'est tout. Je suis contente de le revoir s'amuser. Malgré sa température, il déborde d'énergie. Il m'épate. Je quitte la salle qui déborde de joie et de rires. J'ai besoin d'un peu de calme. Activation du mode « pause ». D'ailleurs, il est l'heure de rejoindre mes collègues à l'école. Midi sonne dans mon estomac. Elles se sont déjà installées au soleil, pantalon retroussé au-dessus des genoux, espérant gagner quelques couleurs... une invitation à la détente. Envie de lézarder. Nous pensons d'abord à la fin des examens pour nos enfants et à nos angoisses de parents à ce sujet comme tous les ans, ensuite aux vacances et partageons nos projets d'escapades, voyages et autres aventures « programmées ». Nous nous sentons bien dans nos rêves d'évasion. Une envie de sieste vient même nous titiller. -Prochaine commande pour l'école, des hamacs !, dit l'une d'elles. Et nous nous laissons bercer par cette douce idée. Mais une autre intervient : -On peut toujours rêver! J'ajoute : -C'est pour le bien-être du personnel revendiqué par ...NOUS ! Entre nos rires, nos rêves, nos espoirs, il est l'heure de se remettre au travail. Terminées les envies de sieste, retour à la dure réalité.